"De la musique composée par Akosh Szelevényi et Gildas Etevenard à la danse de Josef Nadj et dʼIvan Fatjo, il nʼy a aucune délimitation, aucune séparation. De lamême façon, le travail plastique - le chorégraphe est aussi dessinateur et plasticien - est sur le même plan que le chorégraphique.

La circulation entre musique et danse est ininterrompue, le jeu entre les deux sur un même terrain, où lʼeffacement permet de tout petits reliefs sonores ou physiques. Le chorégraphe évoque comme terre souterraine au spectacle la Pannonie, «cette plaine qui se joue des frontières instituées par les hommes, et sʼétend, ininterrompue, sur des kilomètres carrés, avec ici ou là un oiseau en surplomb, un arbre comme une silhouette esseulée ou lʼéclat dʼun coquelicot, qui ponctuent et renforcent encore, par contrepoint, lʼimmensité jaune verte des herbes hautes ployées par le vent ».

Cette plaine est lʼaire de jeu et le son du coquelicot dans la musique. Les interprètes gémellaires ne se différencient guère de deux épouvantails. Ils ont même gommé leur visage, la tête dissimulée dans des bas à la manière des braqueurs. Ils sont potes, ils rient ensemble et papotent comme des hiboux perchés dans un grenier. Ils boivent aussi, généreusement, maculant de traces blanches le tableau noir et sa ligne dʼhorizon immobile, avant de casser leurs verres. Ils en viennent parfois aux mains, comme de vieux lascars, en hommage discret à Toni Kovacs, ancien lutteur devenu sculpteur.

Dans ce Paysage inconnu, on se reconnaît pour avoir feuilleté lʼalbum poétique imagé de lʼartiste, depuis ses premières pages gastronomiques avec un surprenant Canard pékinois en 1987. Finalement, on est chez soi dans son chez-lui, jamais clos ni nostalgique. On aime bien ses bonshommes, mal dégrossis, grotesques, terreux, qui dansent pour conjurer les mauvais sorts, et surprennent par lʼélégance insoupçonnée dʼune main.”

Marie-Christine VERNAY / Libération - 31 juillet 2014