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![]() AKOSH SZELEVENYI. Saxophoniste installé à Marseille, il cultive la liberté comme un style musical. Toujours inspiré par sa Hongrie natale, il a fait du jazz sa terre d'adoption. LE SON DU VOLCAN Il n'y a pas de volcan en Hongrie... pays de lacs et de plaines. Le seul volcan de ce petit pays d'Europe centrale l'a quitté voilà près de vingt ans. Son activité tellurique est essentiellement musicale. Il a pour nom Akosh Szelevenyi. Un sommet d'un peu plus d'un mètre quatre-vingts qui a la propriété alchimique de transformer l'énergie de la terre en air, souffle, vent, son. Il suffit de le voir jouer pour s'en persuader. Flûte, saxophone ténor, soprano, trombone, clarinette, ou bombarde, peu importe ce qu'il embouche, il tire toute énergie de la terre sous ses pieds et la transforme en lave sonore rougeoyante. Ce son ne connaît pas de frontières, ni de mots pour le figer. En plus des rochers blancs, de la lumière et de la mer, Marseille a donc hérité d'un volcan. Ce soir là, mars, au Bachi-Bouzook, le public est plutôt indifférent à ce miracle géologique. Ils sont venus bavarder en toute mondanité sur du free jazz (commode appellation) jusqu'à couvrir Akosh et ses musiciens de l'Unit. Heureusement, les trois jours suivants, le bar est toujours plein à craquer et le public à l'écoute enfin. "Ca me donne l'espoir. Des choses sont possible ici". Un petit verrou de méfiance qui saute entre Akosh et sa ville de résidence. "J'ai de l'amour pour cette ville, je l'ai choisie parceque j'en avais marre de la vie purement occidentale, parceque c'est une ville d'étrangers. Mais, ici, je m'isole de plus en plus jusqu'à en souffrir. J'ai du mal avec le Marseillais, avec la caricature, avec ces gens qui parlent avec leurs peurs. On a forcement de la déception quand on aime". Il a une histoire avec cette ville. Découverte en 1998 lors d'une résidence à la Friche Belle de Mai à l'invitation de l'Association d'aide aux musique innovatrices (Ami) avec"Bertrand et Sergio" de Noir Désir. Ce sont eux qui ont mis en lumière le saxophoniste hongrois et choisi son groupe à géométrie variable comme première partie pour une tournée en 1996. Un coup de main qui a projeté Akosh au delà du cercle étroit des musiques libres, de son réseau de bistrots parisiens où il avait pris l'habitude de jouer. Bertrand Cantat et Akosh étaient voisins à Paris. Les deux familles avaient décidé ensemble de déménager vers Marseille. "C'est parti de moi", raconte Kristina Rady, femme de Bertrand Cantat, compatriote et amie de longue date d'Akosh. "La Friche m'a proposé un projet. On en a parlé. On avait tous envie de quitter Paris surtout pour les enfants. Akosh est venu s'installer ici, nous pas". Les Cantat on choisi d'habiter dans la forêt des Landes cette maison qui a brûlé depuis. Depuis. Douleur d'actualité. Le mot est lâché, il faut bien en parler. Akosh et Bertrand comme deux frères si semblables, ensemble sur scène, sur les disques de l'un, de l'autre, inséparables. Et puis le drame de Vilnius, cette ville où Cantat est emprisonné, en ce moment jugé. "Maintenant, il n'aura plus de problème de logement avant un petit moment, glisse-t-il, humour noir et yeux brillants. C'est un ami extrordinaire. Il a une énergie extraordinaire qui sort de lui. Ca le raconte bien mieux que tous ces événements affreux". Fin de l'évocation. Le trajet d'Akosh est ainsi construit comme une suite de rencontres amicales, d'humanité en partage. L'humain, son pain quotidien. Avant la création de l'Unit, il avait surtout travaillé pour le théâtre, notamment avec François Cervantès et sa troupe de l'Entreprise, installée à Limoges à l'époque. "Nous avons créé trois pièces ensemble, construites au moins autant sur le langage théâtral que sur la musique, raconte le metteur en scène installé à Marseille. Il s'agissait d'un triptyque autour de ces gens qui un jour quittent tout, leur famille, leurs amis, leur lieu d'habitation et marchent. Chaque année, ils sont nombreux à disparaitre ainsi sans qu'on en parle jamais". Un thème qui rentre en résonance avec le parcours d'Akosh comme un écho incongru entendu au cur d'une plaine. Akosh n'erre pas. Il est étranger toujours et sans frontières. Une identité choisie en 1986 quand il quitte clandestinement la Hongrie communiste pour échapper à la police politique, au travaux forcés, aux écoutes, aux interrogatoires. Akosh ne parle plus de tout ça, aucune fierté héroique. A l'époque pas plus qu'aujourd'hui, le monde libre ne l'est pas. De sa fuite, il retient surtout les quelques mois sans papier, sans mots pour se faire comprendre. Cette liberté sans étiquette, sans statut qu'il revendique encore. Il est toujours Hongrois. C'est sa patrie musicale. "En Hongrie, on apprend la musique à tous les enfants grâce à une méthode inventée par Kodaly, un compositeur ami de Béla Bartok, raconte Kristina Rady. Comme ce dernier, il a beaucoup travaillé sur les musiques villageoises, encore aujourd'hui, les musiques paysannes et tsiganes influencent toutes les musiques, du hip hop à l'électro. Akosh s'inscrit dans cette filiation". Comme beaucoup de Hongrois, Akosh à grandi dans la musique. Et, comme Bartok, il cherche ces racines terrestres mystérieuses qui les relient entre elles. "Il prolonge une tradition musicale bien dessinée. C'est sa langue maternelle, décrit le chorégraphe Joseph Nadj qu'il rejoindra sur le plateau de sa prochaine création en septembre. Il la porte à l'intérieur de lui, dans son âme. Et il a besoin de la confronter au monde", Il retourne fréquemment jouer avec ses musiciens dans les petits villages hongrois ou transylvaniens. Comme une respiration nécessaire dans ce libre trajet de vie qu'il a choisi. "C'est un bel humain, dit de lui Gildas Etevenard, batteur complice de l'Unit. Très simple, il dit les choses et agit en fonction". Il ne varie pas de sa route non tracée, à la poursuite de la fluidité de l'existence, rendue dans un son beau comme un flot de lave sorti de lui, volcan humain. BENOÎT GILLES Marseille l'hebdo mercredi 17 mars 2004 ![]() ![]() "Akosh ou la quete de la vérité" A quelques jours de la sortie de son nouvel album "Nap mint Nap", le saxophoniste hongrois Akosh Szelevenyi est à Bordeaux, en concert avec son groupe. Le cheveu court, la barbichette stricte et le regard bleu acier, Akosh Szelevényi parle un français fluide, à peine teinté d'une pointe d'accent hongrois. Solidement charpenté, il dégage l'impression d'un homme solide, d'une droiture indéfectible. Rencontre avec le pivot du groupe Akosh S. Unit. Sud-Ouest : De quelle volonté est né ce nouvel album ? Akosh Szelevenyi : De l'envie d'appréhender les choses différemment que sur les trois premiers albums du groupe. Je voulais sortir du fonctionnement classique "préparation, enregistrement, promo, tournée". J'ai souvent considéré ma musique comme une matière dans laquelle je pouvais ensuite piocher pour construire tel ou tel projet. Mais j'aime aussi l'envisager comme le fruit d'un travail continu, d'un chantier perpétuel. Même une fois le disque fini, le même travail de création continue. Parce que des musiciens ont changé au sein du groupe, les choses sont différentes : le son bien sûr, puisque les instruments ne sont pas les mêmes ; mais la démarche est différente. Je crois qu'on peut mieux approcher la vérité des choses avec l'improvisation qu'en s'appliquant à composer. S-O : Au point de vous être vous-même surpris par votre musique ? AS : Un peu, oui. J'ai davantage exploré que composé ; et nous allons à une découverte de nous-mêmes. En libérant les formes, on atteint une certaine justesse par rapport à ce que l'on a à dire. Nous ne cherchons pas à faire une musique cérébrale, qui nécessiterait des connaissances savantes pour l'apprécier. A l'opposé, nous souhaitons qu'elle touche les gens de façon directe pour les conduire ensuite à réflêchir. C'est la différence fondamentale entre la science et l'art : la science peut convaincre les gens, l'art pas. Sur scène nous prolongeons ce processus en improvisant de plus en plus, dans un esprit d'ouverture. C'est le monde tel qu'il fonctionne aujourd'hui qui me pousse à être de plus en plus radical. L'improvisation nous oblige à travailler notre capacité de concentration et de justesse, jusqu'à devenir comme un entonnoir dans lequel circulent les choses et les idées qui nous sont importantes et qui se transforment en musique. S-O : Quels sont vos projets pour 2004 ? AS : Arrêter de travailler avec Universal Music, d'abord ; je ne peux plus me contenter de sortir un seul disque par an. Cette année vont paraître des travaux différents, en solo, ou avec la contrebassiste Joëlle Léandre, un projet trip-hop avec un groupe de Marseille, un autre avec un nouveau groupe, MOSQ, plus électro. Sud-Ouest 14 février 2004 propos recueilli par Stéphane C. Jonathan ![]() ![]() Akosh dans le suprême tourbillon des extrêmes Compagnon de route du groupe Noir Désir, le saxo-phoniste hongrois Akosh a délivre, l'an dernier, un bol d'oxygène des plus vivifiants, en publiant deux albums d'un coup, « Imafa » (en studio) et « Omeko » (live), L'ébouriffante osmose qu'il réalise entre ses racines d'Europe orientale et son amour du jazz donne naissance à une musique unique en son genre, riche, complexe et vitale à la fois. Dans son prochain album, « Elettér », la magie opère de nouveau : éruptions « free » galvanisantes, odes à la différence singulièrement évocatrices, mémoires tzigane , violon vertigineux (Peter Eri soliste du fameux groupe hongrois Muzzikas), cornes de l'Himalaya, tambours africains (par le subtil percussionniste sénégalais Pape Dieye...) Et les incantations du pote, Bertrand Cantat (« noir désir»), entre cris et chuchotements. Tout nous emporte dans un suprême tourbillon des extrêmes. Retournez-vous régulièrement aux sources, en Hongrie ? Je préfère aller en Transylvanie plutôt quen Hongrie, où, depuis le changement, la situation est devenue assez dure. Je vais à Budapest parce que j'y ai vécu et que j ai pas mal d'amis là-bas. Mais je me ressource davantage à la campagne, notamment en Transylvanie. Dans cette contrée , les gens vivent protégés de la pollution et les rapports humains sont comme nulle part ailleurs. Le patrimoine culturel y est bien sauvegardé. La Transylvanie, en partie entourée par les montagnes des Carpates, a été relativement préservée. En 1947, elle a été ratachée à la roumanie. J'y effectue des recherches. non pas de façon scientifique, mais plutôt par simple passion. Quelle aventure a représenté pour vous l'association avec Noir Désir ? Pour moi, cette rencontre a été essentielle. Bertrand est au nombre de mes meilleurs amis. Nous avons eu envie de faire de la musique ensemble. Nous sommes partis tous les deux en Hongrie, a plusieurs reprises. Quand avez-vous eu le coup de foudre pour le free-jazz? A l'âge de seize ans. Un jour, un copain m'a fait écouter plein de jazz. Archie Shepp, John Coltrane, Albert Ayler. Pharoab Sanders, Don Cherry... C'est quelque chose qui vous change. Une grande secousse. A 10 ans, j'avais vu Cecil Taylor et Davis D. Ware dans un festival, en Yougoslavie. Les différents lois mises en place au sujet de limmigration, ces dernières années en france, vous ont-elles mis en colère ? Forcément. Cest primordial d'être concerné par cette question. Je me sens concerné, non parce que je suis hongrois immigré. mais de par ma sensibilité. Pour véritablement enrayer la xénophobie, il faudrait une éducation totalement différente pas seulement en france, dailleurs. Il est nécessaire de revoir les livres solaires, ne serait-ce que pour l'enseignement de lhistoire. Il faut de sacrés changements. Ce n'est pas avec Internet que l'on va résoudre les problèmes. Plus on fonce vers ce type de communication, plus on tue les choses vivantes. Internet a sa raison d'être et je ne suis pas contre. Mais je n'ai pas envie de me mettre derrière un ordinateur pour communiquer. Vous préférer parler avec la personne en chair et en os, ne pas laisser quelquun crever sur le trottoir Exactement. Peut-être ai-je un blocage avec linformatique et la paperasserie Quand jai du ouvrir un compte bancaire et avoir une carte bleue, jai eu des insomnies ! jai ressenti une atteinte à la vie privée. A cause des papiers a fournir ? Cest un tout. Un système bien huilé, réfléchi, dans lequel tu est quasiment obligé dentrer. ce nest pas pour te faciliter la vie quils le font. Cest pareil pour la carte didentité. si tu nen as pas une, tu es une sous-merde. Jai bien connu ça et cest peut-être bien ainsi, jai pris conscience de certaines choses. Même si tu es un humain de grande valeur, tu nes rien si tu nas pas de papier. Lhumanité 19 janvier 1999 Propos recueillis par FARAC, ![]() ![]() Akosh S., Hongrois rêvé FESTIVAL SONS D'HIVER. le saxophoniste généreux révolutionne le jazz. Indispensable Ce quil y a de formidable avec « la musique de jazz » comme disait Georges Simenon à lépoque où il formait avec Joséphine Baker un couple proto-zazou en vogue dans les nightclubs, cest quelle exclut d'autorité cette notion de blasement inhérente à tout autre genre, à commencer par le rock et la variété. Le jazz peut en effet tourner en rond pendant des années, multiplier les opérations de fusion navrante ou les liftings revival frisquet inéluctablement, sorti don ne sait trop où, finit par débarquer un tourbillon totalement incontrolable qui, faisant fi de tout sentiment de respectabilité, sen en vient bousiller avec une hargne, une impudeur communicatives, le gentil jouet Lagitateur attendu. Ainsi tel banlieusard adolescent, nourri jusqualors de Dutch Swing Collège Band ( tube: Dominique, nique, nique, scie apostolique de soeur Sourire, la nonne chantante) et de Sidney Bechet (période : les Oignons ), se souviendra-t-il toute sa vie de ce 13 novembre 1966 où, calé au balcon de la salle Pleyel, il fut soumis malgré lui au traitement sismothérapeutique administré par Albert Ayler), lorsque celui-ci, flanqué de ses quatre complices (Don Ayler, Michel Sampson, WIlliam Folwell et Beaver Harris) prit possession dune scène vite recouverte de projectiles divers (menue monnaie en majorité), tandis qu'aux quatre coins de la digne salle, éclataient de violentes échauffourées. De même tel auto-stoppeur service échoué dans une pâture embourbée de Moers. Allemagne, fanatique d'Art Blakey et de ses fiers hard-troppers, abandonnera-t-il sut le champ toute véléité «kerouacienne» afin de se joindre à la secte Arkestra de Sun Ra tendue vers un seul but, en file indienne et doigt pointé: Spece Is The Place! Et l'on pourrait citer encore bien d'autres exemples de ce type, telle cette nuit de juillet qui vit le percussionniste Milford Graves se jouer des étoiles comme d'un glockenspiel dans un jardin public de Pise, ou cette soirée aoûtienne pluvieuse durant laquelle le Brotherhood of Breath du Sud-Africain Chris McGregor sattacha à convertir une partie de la Suisse alémanique (WiIIisau en l'occurrence ) au culte du riff anarchique. Bien que Ion n'en mesure pas forcément toute la portée sur le moment, ce style de traumatisme ne soublie guère. A la longue même) expérience oblige, on apprend peu à peu à le pressentir, à l' appréhender. Prenons Elettér ( en Français: «espace de vie» ) troisième CD épidermique commercialisé chez Barclay par : Akosh Szelevenyi, polysaxophoniste hongrois ( il est né à Debrecen le 19 février 1966 ) venu en France sous : le statut de SDF ( «j'ai vécu plusieurs années sans papiers est bon pour la tête, une expérience que je re-commande à tout le monde» ), et qui se revendique aujourdhui non pas comme un musicien professionnel mais bien plutôt comme un « survivant professionnel faisant de la musique ». La nuance est de taille, mais explique lexceptionnelle qualité de son oeuvre enregistrer. Car le voici enfin cet agitateur que la World Jazz Compagny attendait, subissant sans broncher les choruses nostalgique de jeunes prodiges afro-américains propret, raisonnables, aseptisés, satisfait jusquà la suffisance davoir perfectionné leur gamme à la Juilliard ou à Berklee. Marginalisation et générosité. Akosh na pas échappé non plus à un enseignement académique, mais à la différences de ses confrères US il a manifesté le besoin de désapprendre tout ce que sa formation classique lui avait apporté. Conscient du fait que la musique authentique ne sort pas forcement dinstrument (« jai effectué un tas de boulots : alimentaires, bâtiment, imprimerie et réalisé quil y a parfois plus de musique dans ce type dactivité que lorsquon souffle dans un cuivre »), il a su également décoder, dès la première écoute, les chefs-doeuvre du jazz libertaire, décelant par exemple dans The Majic Of Ju-Ju dArchie Shepp, non pas un sujet de thèse musicologique mais «une référence à tout ce que je retenais à lintérieur de moi-même, à ce merdier qui menvironnait ». Comme Shepp (et bien dautres) à lépoque, Akosh est aujourdhui (« très ») en colère. Et cette colère on ne peut plus légitime, il nà dautre envie que de la partager. Doù le circuit dit «des bistrots » quil a développé (mais il se produit également dans des prisons et dans des quartiers « défavorisés », afin de souligner son refus du fonctionnement classique (et des tarifs) des clubs et surtout son besoin daller chercher les auditeurs où ils sont. Derrière le zinc si nécessaire, ou dans larrière-salle des troquets. Là où les habitués, peu familiers des étiquettes (sauf celles des boutanches, bien sûr), nont jamais entendu de free-jazz et réagissent par conséquent par un «cest donc ca !». réjouissant . Ce qui explique à la fois sa marginalisation sur la scène du jazz parisien (entretenu par une hostilité inexplicable manifesté à son égard par une bonne partie de la critique spécialisée) et cette générosité qui lanime en priorité. Sans celle-ci, limpact Elettér ne serait certainement pas ce quil est. Car cette union de la « new thing » modèle ESP et du folklore hongrois basique (« les deux musiques les plus pures à mon oreille ») débouche au bout du compte sur lun de ces disques rares comme lon nen entend pas cinq en dix années daudition intensive. Au delà du séisme quil provoque avec ses accents ayleriens parsemés de sonorités et autres rythmes ethniques, il traduit une intense sensation de vécu, un besoin viscéral de liberté. Lexpression directe dune authentique générosité. A travers sa musique Akosh Szelevenyi soffre en entier. Sans calcul, sans chipoter. Chez lui le marchandage nest pas de mise, au contraire de chez un certain nombre de ses collègues qui, bien plus que musicien, se révèlent en fin de compte philistins ou épiciers. Akosh est généreux, rigoureux, habité. Et lon serait prêt à parier quil ne mesure pas pleinement toute lalchimie de sa musique, lui qui a trouvé la bonne formule par honnêteté, mais qui est paradoxalement trop honnête pour lexploité. Attention lhistoire du jazz a montré quil existait tout au plus un musicien de cette envergure par génération. Il serait par conséquent dommage que ce soit la prochaine qui le reconnaisse. Quand il nen pourra plus davoir trop donné. Serge Loupien Libération du vendredi 12 février 1999 ![]() ![]() Ce soir à Banlieues Bleues, le souffleur hongrois poursuit sa démarche insolite, empreinte de justesse et d'authenticité. Akosh fait mouche Akosh Szelevenyi n'a pas l'heur de plaire aux énarques jazzy, plus soucieux d'absoudre le médiocre Ravi Coltrane sous prétexte de sa lignée (alors que Joshua Redman s'est vu naguère voué aux gémonies pour une raison similaire) que d'adhérer au message libertaire d'un musicien habité, généreux et expatrié. Peut-être parce que le Hongrois avoue avoir écouté, en même temps, les Rolling Stones, Archie Shepp et les Beatles, assimilation impardonnable pour les étiqueteurs protocolaires. Pourtant, Akosh S. représente assurément ce qui est arrivé de mieux, depuis belle lurette, au jazz français et, par extension, européen. Même s'il est le premier à revendiquer une certaine singularité par rapport aux codes du genre : "Je me sens éloigné du milieu jazz parce que je joue essentiellement dans des bistrots. Je suis donc plus proche du mouvement alternatif. Mais, ainsi, je touche des gens qui n'ont jamais entendu de free et cela suffit à mon plaisir. Devenir célèbre ne me dit rien. Par contre, j'ai plein de choses à partager." Se présentant lui-même comme "un survivant professionnel qui fait de la musique", Akosh, né à Debrecen le 19 février 1966, a quitté son pays à l'âge de 20 ans, à la suite de tracasseries policières, après avoir encaissé, cinq ans plus tôt, le choc de la new thing afro-américaine : "La découverte de The Majic of Ju-Ju ou de Mama too Tight m'a secoué. Ça correspondait à tout ce que je retenais à l'intérieur de moi-même, tout en évoquant le merdier qui m'entourait." SDF lorsqu'il débarque à Paris ("se retrouver sans papiers, c'est bon pour la tête"), il ne tarde guère à se fondre dans le monde musical de la capitale, où il ne perd pas une occasion de buffer : "C'est un sentiment curieux. Tu viens de casser ta vie en deux et, en même temps, tu respires la liberté comme jamais." Bricolant à gauche et à droite ("dans le bâtiment, dans l'imprimerie"), histoire de subsister ("il y a plus de musique dans ces activités que si l'on souffle tout le temps dans son instrument"), Akosh flirte aussi avec le théâtre ("chercher le lien entre texte, jeu et musique est passionnant") et monte, dès 1991, un quartette qui enregistre Pannonia (EMP), un premier disque qui mettra plus d'un an à être commercialisé : "A ce moment-là, son contenu m'a semblé dater." Le mixage ("trop ECM") le chagrine aussi. Il décide alors d'autoproduire Asile, son deuxième CD, vendu exclusivement à la fin de ses concerts. Dans les bistrots. Car Akosh a développé un circuit particulier, dit "des bistrots parisien " : "J'ai du mal à adhérer au fonctionnement des clubs et aux tarifs qu'ils pratiquent. Jouer dans des bistrots est un choix humanico-philosophico-politico-esthético-cacapipi. C'est ma manière de penser aux autres. D'aller là où ils sont." Dans ce même dessein, il se produit également dans les prisons et dans les quartiers "défavorisés" : "C'est dangereux parfois, mais il suffit d'être honnête pour que les problèmes s'aplanissent. J'ai eu des discussions sanglantes avec des zozos hip-hop qui s'avouaient touchés, mais aussi choqués par le manque de rythme. En même temps, ils posaient des questions intéressantes. Et, quand on ne raconte pas de conneries, les gens sentent qu'il se passe quelque chose." C'est à l'Atmosphère, troquet situé en face de l'hôtel du Nord de Marcel Carné, qu'Akosh a rencontré les Bordelais de Noir Désir : "J'étais déjà pote avec Bertrand Cantat, dont la compagne est hongroise. Mais je n'avais jamais entendu son groupe et lui ignorait ce que je faisais. Il a apprécié et m'a invité à venir assurer une première partie de tournée." La corrélation n'est pas évidente entre le répertoire du quartette d'Akosh ("le free jazz et le folklore hongrois sont pour moi les deux musiques les plus pures, j'essaie donc de les combiner autant que possible") et le binaire conformiste de Noir Dés'. Pourtant, dès le premier show, les amateurs de rock plébiscitent les intrus, pour le plus grand plaisir du saxophoniste : "C'est marrant, parce que, si les fans de Noir Désir ont aimé notre musique, je suis sûr que des gens qui nous sont proches ont découvert Noir Désir par ce même biais. J'en suis ravi. Je déteste tellement le principe des étiquettes." Et, puisqu'un bonheur n'arrive jamais seul, Akosh (qui entre-temps a participé au dernier album du gang de Cantat, plébiscité aux Victoires) se voit offrir, dans la foulée, un contrat d'enregistrement (deux CD d'un coup) avec PolyGram Jazz. "Promotion" à laquelle il n'aurait jamais songé, mais qui ne le traumatise pas outre mesure. "C'est évidemment une sacrée étiquette, mais ça ne change rien pour moi : ma démarche reste identique." Éclectisme. A tel point qu'il continue d'écumer les bistrots de Paris et de province, avec la même frénésie qu'avant, tout en ingurgitant, en privé, un maximum de musiques diverses : "Beaucoup de choses ethniques d'Asie centrale et de Sibérie. Les BBC Sessions de Led Zeppelin Zappa, je n'ose plus, je n'ai écouté que ça pendant deux ans. Du classique contemporain, de l'Est surtout Bartok, Ligeti, Penderecki. Messiaen. Public Enemy. Prince. C'est un monstre. Il y a toujours quelque chose de bon dans ses disques. En fait, toutes les musiques qui proviennent d'un vrai sentiment sont bonnes. Qu'importe alors la forme qu'elles prennent.". Serge Loupien Libération du 2 avril 1998 ![]() ![]() Le magicien de la terre AKOSH S. Elettér (Barclay/Polygram) Avec Elettér, le saxophoniste hongrois Akosh S.invente une musique vibrante gonflée de toutes les rumeurs du monde. Quand on évoque avec lui lexil originel, le départ de Hongrie à lâge de 20 ans, larrivée à Paris au milieu des années 80, des fantasmes de liberté hurlant à flots continus de son saxophone ténor, quand on suppose aussitôt la désillusion face à la réalité grise et la douleur lancinante de larrachement à son pays natal, Akosh Szelevenyi a cette jolie réponse pleine de sagesse et dironie : Jai quitté ma terre mais je n'ai pas quitté la terre... formule concise aux allures taoïstes qui savère peut-être la meilleure définition de sa musique nomade rêvant dembrasser tous les lieux et toutes les cultures du monde en un geste qui serait totalisant sans être totalitaire. Car cest bien de ça quil sagit : entre errance et enracinement, toute la musique dAkosh est en quête de territoire dun espace à traverser, à habiter, à peupler... Et si lexil est bien fondateur, cest dans ce mouvement paradoxal qui exalte, dans la rupture, une appartenance à un terroir, et ouvre simultanément sur létendue. Cette tension est au cur de la musique du saxophoniste, lobjet même de cette longue suite ambitieuse et passionnante, Elettér, « espace vital » en hongrois. Mais quon ne sy trompe pas, le baroquisme esthétique qui résulte de ce paradoxe et met en scène, dans le choc des cultures qui sembrasent et se métamorphosent au contact les unes des autres, un véritable chaos-monde est à mille lieues du fantasme syncrétique de la world-music. Si Akosh est en quête dunité et dauthenticité, cest en acceptant de souvrir totalement à cette multiplicité, à ce foisonnement, à cette richesse du monde. Son propos est définitivement étranger au mirage occidental et technique dune accessibilité directe à un monde virtuel réduit à ses icônes marchandes. La musique dAkosh refuse de simplifier la vie des hommes en signes, de labstraire, de la numériser ; sa démarche est inverse : exprimer la présence du monde et ce quil en est alors de la présence au monde. Doù cette musique opaque, de matières brutes traversées de flux souterrains, sombre, tourmentée, mystérieuse, épaisse, compacte. Doù cette tension constante et irréductible entre des structures, des mélodies, des rythmes issus dun terroir, dune mémoire, dune culture Akosh est, à linstar de ses compatriotes Kodaly et Bartók, tout entier concerné par lart folklorique dexpression paysanne en ce quil offre un lien direct aux origines et le jazz, cette musique impure et illégitime, fruit des copulations les plus insensées, qui nappartient en propre à aucun lieu précis, qui est lespace même de la déterritorialisation, ancrée par nature dans lexil la voix des dépossédés. Cest cette complexité que la musique dAkosh entend humblement, simplement, incarner. Stéphane Ollivier Les Inrockuptibles n° 186 du 17 au 23 février 1999 ![]() ![]() Akosh Cœur Venu de Hongrie et découvert par Noir Désir, le souffleur Akosh Szélévenyi impose sa fureur et ses riffs à l'intérieur d'une musique entre free-jazz et rythmes du folklore d'Europe centrale. A voir à Blanc-Mesnil dans le cadre du festival Banlieues Bleues. Dans le petit milieu du jazz français, on parle beaucoup ces derniers temps d'Akosh Szélévenyi, saxophoniste hongrois installé à Paris depuis dix ans. Sur des rythmes d'Europe centrale, lorgnant parfois vers un Orient plus lointain, Akosh joue free, ce qui, en ces temps où la France cède à une attirance rampante pour ses racines pétainistes, mérite assurément un coup de chapeau. Le plus curieux dans toute cette affaire, c'est que, loin de Budapest, l'énergique garçon a signé, sous l'impulsion de Bertrand Cantat, leader de Noir Désir, chez une major et vient de publier en simultané deux albums - l'un studio, Imafa, l'autre live, Omeko. Les plus méfiants ne manqueront pas d'y voir une manipulation de la société du spectacle, une habile récupération de l'industrie du disque ou, tout au moins, une opération marketing rondement menée. Quant à nous, excités par cette musique aux furieux accents balkaniques et intrigués par la configuration paradoxale de la situation, nous posons d'abord la question : qui est donc cet Akosh S. qui brouille les pistes et fait trembler les frontières et, d'abord, d'où vient-il ? "De 6 à 14 ans, j'étais dans une école de musique, à Budapest, qui mélangeait le classique et le folkore, grâce à la méthode inventée par Kodaly, le plus grand compositeur hongrois avec Bartók. J'ai joué de la flûte à bec, de la clarinette, du basson... Puis, à 16 ans, je me suis mis au sax. A cette époque, j'ai vaguement fréquenté le conservatoire de jazz. C'est avec des gens que j'ai rencontrés sur place que j'ai formé mon premier groupe. On jouait des standards, et très vite, on s'est lancés dans des improvisations collectives. C'était au milieu des années 80. A Budapest, j'ai été marqué par deux grandes familles musicales : celle du jazz hongrois et celle des Tziganes. Mon héritage se situe quelque part entre la musique folklorique et le free-jazz, ou plus exactement, l'expression libre. Au début de l'année 1986, j'ai décidé de quitter la Hongrie. Je ne voulais pas partir à tout prix, mais les autorités sont allées trop loin. J'ai passé plusieurs nuits au poste, mon téléphone a été mis sur écoute... Ce n'était plus vraiment typique de l'époque, mais j'avais un style de vie, une manière de m'habiller qui ne leur plaisaient pas. Je suis arrivé à Paris le 14 juillet 1986. C'était hard ! J'avais 20 ans. Pas de papiers. Pas d'argent. Je ne parlais pas la langue mais j'avais quand même mon sax. Je suis allé dans les boîtes où ça "bufait" à la fin de la soirée et, là, j'ai très vite rencontré des gens avec lesquels j'ai formé un groupe. On a trouvé un lieu alternatif, près de la Bastille, une cave au-dessous d'un atelier tenu par un fou furieux. Au début, il y avait deux ou trois péquenots défoncés, mais au bout de quelques mois, il y avait vraiment du monde." Tandis qu'Akosh relate ses années d'apprentissage, on peut entendre, derrière lui, du Ornette Coleman années 60 ou du Archie Shepp années 70. Sa discothèque est peuplée de freemen en colère dont les traces sont facilement décelables dans sa propre musique. Après tout, il y a peu de musiciens de cette génération à être aussi en phase avec ces gerbes de feu dont les braises ne demandent qu'à se répandre. "J'avais un ami en Hongrie qui avait une sacrée connaissance de ces musiques. Un jour, il m'a fait écouter The Magic of Ju-Ju d'Archie Shepp. J'avais 15 ou 16 ans. Ça a été un choc. Le lendemain, je l'ai rappelé pour qu'il m'enregistre le disque. C'est lui qui m'a fait découvrir Albert Ayler, le Coltrane des dernières années, Pharoah Sanders, Charlie Haden. Ornette Coleman et Don Cherry, je ne les ai connus qu'un peu plus tard, car on n'en entendait pas parler en Hongrie. Je connais moins bien Gato Barbieri, à part ses disques avec Don Cherry ou son album The Third world, mais il m'intéresse car sa musique est aussi très ancrée dans son pays. Ce qui m'a touché dès le départ avec Don Cherry, c'est qu'il a été un des premiers à aller vers les musiques du monde et à les assimiler. Je ne suis pas fait pour jouer de la musique folklorique. En revanche, j'ai envie de comprendre l'âme de cette musique. On peut la prendre et la transformer. C'est ce que Don Cherry a su faire. D'ailleurs, il est considéré comme un musicien free, alors que c'est très limitatif. Dans cette famille-là, il y a un mec que je fréquente depuis très longtemps, c'est Dresch Mihaly, grand saxophoniste hongrois. J'ai grandi en l'écoutant et il a eu une très grande influence sur moi. Certains musiciens tchèques ou polonais commencent à être connus en Occident comme Tomasz Stanko. Ce sont des gens qu'on rencontrait dans les festivals. On allait jouer chez eux. Ils venaient chez nous. Il y avait des choses vraiment intéressantes dans le bloc de l'Est. Plus tard, quand je me suis installé à Paris, j'ai rencontré Steve Lacy et Steve Potts, qui m'ont été d'un grand secours les premières années. Rencontrer un musicien comme Lacy, c'était extraordinaire pour moi qui arrivais de Hongrie où on avait toutes les peines du monde à trouver ses disques. Quand tu passes du temps avec Potts, il te raconte sa vie avec Miles ou ses rencontres avec Coltrane. C'est comme une transmission. Les générations suivantes n'auront même plus la chance de rencontrer un mec qui a connu Coltrane ! Quand tu écoutes Coltrane avec Potts et qu'il se met à chialer, tu comprends ce qui s'est passé à cette époque et qui risque d'être oublié." Entre souffles hongrois, retours de free, ritournelles orientales et parfois auberge espagnole, la musique d'Akosh intègre tous ces flux venus d'un peu partout pour en faire une synthèse ouverte et séduisante quoique assez rugueuse, mais surtout perméable à la rumeur du monde. C'est peut-être ce qui a séduit Bertrand Cantat, ange gardien d'Akosh dont le cocktail musical est pourtant bien loin du rock. "Avec Bertrand, on est devenus potes sans écouter la musique l'un de l'autre. Puis un soir, il a débarqué avec Sergio, le guitariste de Noir Désir, à L'Atmosphère, ce bistrot où on continue à jouer très régulièrement. Apparemment, ça les a pas mal secoués. Ils m'ont invité à jouer sur leur dernier album et le groupe à jouer en première partie de la tournée de Noir Désir. Comme Bertrand aime vraiment ce qu'on joue, il m'a proposé de faire autre chose et ça a donné Imafa, le disque en studio. Cela m'a d'autant plus fait plaisir que c'est un vrai coup de pied au système d'étiquetage." Et puisque, aujourd'hui plus que jamais et pas seulement dans la musique, la question des alliances est résolument cruciale, on admirera d'autant plus la paradoxale et féconde fraternisation entre Cantat, prince de l'électrique, et Akosh, chantre de l'acoustique, un peu comme la rencontre fortuite de l'eau et du feu. "Pour moi, il est extrêmement important de jouer acoustique, parce que le bruit environnant devient de plus en plus oppressant. Je suis amoureux des sons de la terre. Un synthé, c'est un dieu détrôné. Je joue de plus en plus de flûte, de clarinette basse, de bombarde... Je vais de plus en plus vers le bois." Si elle n'est pas sans défaillance, notamment au niveau de la section rythmique moyennement rompue aux rythmes ternaires, la musique d'Akosh a pour elle une authentique vitalité, une indéniable puissance plastique et une certaine façon de faire tournoyer les rythmes et les sons d'un monde déterritorialisé. Elle ne vise pas l'achèvement mais le jaillissement comme toutes les formes ouvertes. En réalité, le lyrisme d'Akosh Szélévenyi ne s'épanouit jamais mieux que dans ces lieux vivants où l'enjeu n'est pas de se montrer mais simplement de dépenser la musique sans compter, comme à L'Atmosphère, bistrot fétiche, là où les directeurs artistiques sont venus le chercher, et où une ou deux fois par mois et devant une salle pleine à craquer le saxophoniste continue à se produire avec son groupe et n'hésite pas à lancer des invitations à des musiciens amis ou complètement inconnus. Question d'état d'esprit : "Jouer dans des bistrots, c'est primordial. Je préfère jouer dans ce genre d'endroits plutôt que dans une boîte de jazz où ton whisky-coca te coûte 120 balles." Cette semaine, Akosh tente un nouveau pari : se produire dans un festival respectable et estampillé jazz, en l'occurrence Banlieues Bleues, en première partie d'un All Stars cubain, le Peruchin Jr Septeto. Ça se passe à Blanc-Mesnil, le jeudi 2 avril. Pas d'inquiétude. On entend déjà la rumeur enfler : ce soir, Akosh vous met le feu ! Thierry Jousse 1er Avril 1998, Les Inrockuptibles ![]() ![]() Entre free-jazz et ritournelles tziganes, Akosh S. souffle une musique tellurique où lon croise Bertrand Cantat. Akosh Accroche Akosh S. Imafa & Omeko live (barclay/polygram) Akosh Szelevenyi, dit Akosh S., est hongrois. Il vit en France. Il na pas froid aux yeux. Il ny a quà écouter sa transe musique pour sen faire convaincre, une sorte de free-jazz prolixe allumé aux rythmes dEurope centrale et baigné deffluves venus du monde entier. Boulimique, Akosh lest assurément. Cela sentend, cela se voit Deux disques dun seul coup pour un presque parfait inconnu et sil vous plaît, chez Barclay sous la haute protection de polygram Jazz ! en réalité, lhistoire dAkosh est aussi peu commune que sa géographie. Débarqué de sa Hongrie natale il y a une dizaine dannée, ce souffleur multi-anchiste a connu toutes les galères de musicien qui cherche sa voie hors des sentiers battus, sans oublier celles de limmigré clandestin ou pas. Lénergie et la persévérance étant de la partie, Akosh trouve les moyens de déployer sa musique au gré de rencontres fortuites et nécessaire avec une prédilection pour les Steve, Grossman ou Potts, voire Lacy quil croise a loccasion. Il publie deux disques presque secrètement. Puis en 1996, providentiellement cest Bertrand Cantat, fort de son noir désir, qui le remarque et le prend sous son aile. La Akosh S. unit va tourner en première partie du groupe de rock français le plus populaire. De ces voyages vont naître les deux albums qui débarquent aujourdhui, lun en public, lautre en studio. Nourri aux incantations dAlbert Ayler, Pharoah Sanders, Coltrane ou Ornette Coleman, Akosh nen est pas moins profondément marqué par les tziganes ou par les sonates de son compatriote, le grand compositeur Zoltan Kodaly. Ce qui donne à sa musique une ambiance féconde : profondément ancrée dans les profondeurs de la terre tout en étant irrésistiblement attirée par lappel des cieux. Des deux disques, cest sûrement imafa, enregistré dans les chaleur des studios, qui donne le meilleur témoignage de la richesse fragmentaire des rythmes mis à feu par Akosh. Omeko, le live se contente de nous redonner un reflet parfois répétitifs des performances du groupe pendant la tournée avec noir désir. Ce qui nest déjà pas si mal mais qui ne remplace pas lexpérience du direct. Imafa, au contraire, dessine les contours dune musique ouverte à tous les vents, traversée de courants contradictoires agités comme dans un chaudron brûlant. Sy font entendre, outre le lyrisme suraigu dAkosh, les violons et autre curiosité de lirlandais Joe Doherthy ex-menbre de sons of the desert, les percutions étranges de Bob Coke, coproducteur de Ben Harper, ou encore les accents tibétains de lange gardien Bertrand Cantat. A eux tous ils allument la mèche dune véritable musique du monde aux sens telluriques et aux mélopées emballantes qui, de valses tordues en délires free, traversent en toute liberté des paysjazz parfaitement inédits. Thierry Jousse 18 février 1998, les Inrockuptibles ![]() ![]() JAZZMAN N° 49 - juillet-août 1999 "Les espaces de vie d'Akosh S." Indomptable Une année 1999 sur des chapeaux de roues. Parce qu'il n'hésite pas à se produire dans les conditions précaires de la grande majorité des musiciens de rock, parce qu'il brûle du désir de jouer dans les lieux de vie plutôt que sur des scène "officielles", le saxophoniste Akosh S. est l'un des musiciens qui s'est le plus produit cette année. Souvent dans des lieux qui le confrontent à un public neuf pour le jazz. pause café avant la tournée des festivals. Que vous a apporté la signature avec une major, Barclay, pour laquelle vous avez déjà sorti trois disques ? Votre indépendance farouche n'en a t'elle pas souffert ? J'ai moins le sentiment d'avoir signé avec une major, qu'avec un producteur, Daniel Richard, à partir du moment où la rencontre avec lui et son équipe était une vraie rencontre. Humaine et artistique. Ils ne m'ont pas plus limité qu'ils ne m'ont incité à faire de quoi que ce soit. J'avais, et j'ai toujours, carte blanche. A paris, le café-musique L'Atmosphère vient d'être interdit de concert. Comme nombre de bars parisiens accueillent des musiciens. Comment réagissez-vous à la disparition de ce circuit parallèle auquel vous êtes resté fidèle ? Notre politique de diffusion, nos choix délibérés, viennent de prendre un sacré coup. il est très difficile de savoir de quoi il retourne réellement. le décret d'interdiction parle de problèmes sonores des musiques amplifiées, de décibels trop élevés, mais ce n'est absolument pas le cas de ces bars. Il y a quelques années L'Atmosphère avait fait des travaux d'insonorisation, puis on a dû jouer plus tôt, de 20H à 22H. Maintenant on va peut-être nous imposer de jouer de 17H à 19H, avec des cachets normalisés. Bien sûr, il faut trouver une solution. Mais je me méfie énormément des associations qui rentrent dans un combat, qui deviennent vite des institutions. Ca a toujours été semi-légal, hors système. il faut rester hors système, il y a de la place pour tout le monde ! L'Atmosphère, c'est là que j'ai le plus de tac. C'est beaucoup plus impressionnant pour moi qu'une grande salle. Là, dans l'étroitesse du lieu, avec le public à trois centimètre du pavillon du sax, tu ne peux vraiment pas tricher. Ce paiement à la casquette, en lieu et place de la légalité des cachets régulièrement déclarés, vous paraît-il plus naturel parce que vous venez de Hongrie, d'une tradition de musique populaire ? Peut-être. En tout cas, ça n'est pas conscient. mais depuis les changements politiques, les gens ne chantent plus en Hongrie ! Heureusement dans les villages de Transylvanie, dans les zones rurales, il y a encore une vraie tradition, On y a récemment fait une tournée dans des conditions extraordinaires. Le public était très différent l'écoute paradoxalement beaucoup moins extériorisée qu'ici. Il n'y a pas cette espèce d'enthousiasme qui peut déborder à chaque instant. Quand tu ne le sais pas, tu te demandes vraiment ce qui se passe, c'est flippant. Mais à la fin du concert tu te rends compte qu'il s'est vraiment passé quelque chose, de façon beaucoup plus intériorisée. Avez-vous le sentiment de pouvoir être une porte ouverte sur le jazz pour une partie de votre public ? J'espere l'être un peu. Que ce soit à L'Atmosphère ou ailleurs, le public est souvent assez jeune, se renouvelle sans arrêt. Il y a sûrement une partie d'entre eux qui viennent à cause de Noir désir, et parce que je joue avec Bertrand Cantat. Des gens qui n'écoutent pas forcément du jazz... Comment s'est constitué l'orchestre qui joue sur votre dernier disque "Elettér" ? Le groupe est complètement hétéroclite, tout le monde vient d'univers différents. Philippe Foch, le batteur, a souvent travaillé pour le théâtre et la danse. Bernard Maladain, le contrebassiste, a beaucoup joué de jazz manouche, notamment avec Angelo Debarre ou dans le cirque Zingaro. Joe Doherty, le violoniste, s'est fait connaître avec le groupe rock Sons Of the Desert et c'est grâce a lui que j'ai élargi mes connaissance sur Ornette [Coleman] . Bob Coke est à la fois ingénieur du son, producteur et musicien. On dit que Bertrand Cantat vient du punk-rock. Alexandre hautelain, clarinettiste rencontré à l'Atmosphère, a une formation classique. J'ai aussi fait appel à Pap Diaye, Sénégalais, pour certains morceaux où j'entendais des couleurs africaines. Robert Benkö a longtemps été le contrebassiste de Mihaly Dresch, et Peter Eric, le violoniste, avec qui j'avais depuis longtemps envie de travailler, est membre de l'ensemble traditionnel Muzsikàs. Mais le projet de ce disque est moins lié à un concept musical qu'à la vie quotidienne, à certains paradoxes dont je cherche la réponse. Comment est-il possible de venir de quelque part et d'être citoyen du monde ? Comment est-il possible de vivre ensemble ? pour ma part j'essaye d'être responsable. Autrement que les hommes politiques qui se disent responsables des autres. En ce sens, je me sens moins leader que catalyseur de mon groupe. je n'ai pas besoin d'être un personnage public, je joue. Vous aviez projeté d'enregistrer avec Don Moye, pourquoi cette rencontre a-t-elle échouée? "Elettér" signifie "espace de vie" : pour que le projet soit réussi chacun devait y adhérer. Je ne voulais pas faire un disque de rencontre avec Don moye. De plus, c'est un musicien américain d'une autre génération. On n'a pas le même rapport à l'argent... Moi, je fonctionne plutôt à l'épaisseur des rapports humains. Pas à la notoriété musicale et aux rencontres éphémères. Existence, Etre, Origine, Source, Âme... les titres d'"Elettér" font penser à la spiritualité de la dernière période de Coltrane. Sa quête spirituelle, ou celle des musiciens de sa génération est elle pour vous une référence ? Je crois que mes références viennent d'ailleurs, mais c'est vrai que c'est l'une des raisons pour lesquelles je me suis intéressé à ces musiques. Dans la culture hongroise, le chant et la danse sont très importants, le sens de la pulsation aussi. mais il semble que c'est justement le point faible du groupe, l'esprit de l'Unit et la qualité générale de la toile en étant les points forts. Auriez-vous envie de quelque chose de plus fort en ce qui concerne l'aspect rythmique ? Oui, bien sûr, mais chacun a des problèmes, moi le premier. Il est capital pour moi de disposer d'un groupe stable, dans lequel la relation humaine est primordiale. Je préfèrerais toujours travailler avec des amis. je constate d'ailleurs avec grand plaisir que la famille s'agrandit. Il serait sans doute possible de jouer avec des musiciens qui pulsent davantage, mais je n'ai pas dans l'idée de changer mon groupe d'un coup de baguette magique. Les choses doivent se faire plus en profondeur. peut être que le groupe n'est pas ultra performant, mais, ensemble, l'on arrive à raconter quelque chose de sincère. N'êtes-vous pas excédé par les références perpétuelles des journalistes à Gato Barbieri ou Pharoah Sanders à votre propos, ou de voir taxer votre musique de néo-free ? J'en avais marre avant que ça recommence. les références ou les étiquettes permettent peut-être de situer les choses, mais à ce moment-là il faudrait que la liste soit un peu plus vaste, car j'ai encore plus été influencé par led Zeppelin ou Bela Bartok... Comment ressentez-vous les critiques, qui n'ont pas manqué, et le récent coup de projecteur médiatique lié à votre série d'albums sur une major ? J'essaye de m'en tenir à l'écart le plus possible. en France le rapport entre le journaliste et la personne interviewée est souvent déséquilibré, contrairement en Allemagne ou en Hongrie, où le journaliste ne se sent pas au dessus de musicien. Il s'intéresse davantage à ce que tu fais plutôt qu'à toi. La critique de mon dernière disque dans Jazzman a ouvert la voie à toute une série d'articles qui parlaient énormément de moi, de ce que les médias ou les publicitaires ont montré, mais pas du tout de la musique. Je refuse, ça me rend fou ! Une fois de plus, le propos c'est la musique pas le musicien. Avez -vous des projets avec la formation actuelle ou avec de nouveaux partenaires ? Je ne cherche pas forcément à rencontrer de nouveaux musiciens, même si je reste ouvert. Le compositeur Pierre Henry nous a récemment entendu. Il m'a proposé de faire avec lui la musique de Dziga Vertov L'Homme à la caméra, pour le cirque d'hiver à Paris, en Mars prochain. Formidable ! Mais, une fois encore, si je n'avais pas eu un contact humainement fort avec lui, il aurait pu me proposer le projet le plus important du siècle, j'aurais refusé. Jazzman N° 49 (juillet-août 1999) Propos recueillis par Alex Dutilh et Thierry Lepin ![]() ![]() Akosh S. "Imafa", "omeko" (live) (Barclay/ polygram jazz) Formellement, et stylistiquement, on ne rendrait pas justice à la musique d'Akosh S. en la comparant à celle que jouaient les Lounge Lizards au début des années 90, époque où la formation fiévreuse et enthousiasmante de John Lurie s'ouvrait à la musique ethnique pour le meilleur, sans perdre de son tranchant pour autant. mais puisqu'il faut des comparaisons, on retiendra provisoirement celle-là, qui aide à imaginer la façon dont les pièces se constituent, d'echancrure free en petite danse folklorique, façon bonne aventure plutôt que grande architecture, musique de romanichel, improvisée avec les moyens du bord, qui fait feu de tout bois, et qui accueille le temps d'une ritournelle un peu de savoir des peuples, et beaucoup de leur générosité. Né à Debrecen (Hongrie) dix ans après l'entrée des chars soviétiques à Budapest, Akosh Szelevenyi a entamé des études de musique classique et folklorique dès l'âge de six ans. A seize ans, après avoir joué flûte a bec, clarinette et basson, il opte pour le saxophone qu'il décide de travailler à la section jazz de l'Académie de Budapest. C'est néanmoins dans l'audaces de John Coltrane, Eric Dolphy, Ornette Coleman, Albert Ayler, Don Cherry, Dewey Redman et Pharoah Sanders qu'il trouve un premier mais définitif écho aux troubles de son âme inquiète. Parallèlement il étudie les ragas indiens et l'uvre de Bartok, sur fond de brimades policières, interrogatoires et menaces, qui le conduisent un jour de 1986 à sauter le mur et à rejoindre Paris avec son ténor pour tout bagage. De rencontres fondatrices (Steve Grossman) en groupe (avec la violoniste Michèle Véronique, le contrebassiste Bernard Malandain et le percussionniste Philippe Foch), un premier "Pannonia" sort sur le label EPM qui le fait remarquer dans quelques festivals et aux côtés de Dewey Redman. En 1994, "Asile" en trio paraît avant que la musique d'Akosh ne s'enrichisse de l'arrivée du multi-instrumentiste irlandais Joe Doherty (du groupe Sons Of The Desert) et que cette nouvelle formation s'installe dans un bistro parisien fréquenté par Bertrand Cantat de Noir Désir, qui demande illico à Akosh de rejoindre en studio l'enregistrement de "666.667 club", puis la scène en première partie de la tournée du groupe. "Omeko" qui paraît aujourd'hui est l'enregistrement de la musique que donna Akosh pour un public venu avant tout pour les beaux yeux de Bertrand Cantat, mais paraît-il totalement conquis par cette musique d'abord immédiat. L'autre intitulé "Imafa" a été enregistré en studio en 1997 avec la participation de Bertrand Cantat au chant, à l'harmonica et aux percussions. Sous l'influence croisée de Pharoah Sanders du début des année 70 et du premier Liberation Orchestra, Akosh y laisse libre cours à un jeu fait de phrases incisives et écorchées à la fois, mâtinées d'un lyrisme à fleur de nerfs et colorées d'orientalismes. Plus convaincant---on peut être irrité par certain tics d'un autre âge---un disque néanmoins bienvenu. Rock&Folk Février 1998 ![]() ![]() "Akosh nouveau dynamiteur du jazz" Akosh Szelevenyi lève la coude... et s'envoie une bonne rasade d'antibiotiques. Le saxophoniste tient une sale crève. Pour ne rien gâcher, Bernard, le contrebassiste, a réussi à se casser une dent sur... un tartare de saumon. Tant pis, on pansera les plaies demain, à Paris où Akosh, vit depuis dix ans. "dans le quartier de Stalingrad. Un Hongrois à Stalingrad, c'est plutôt marrant," ricane l'Irlandais Joe Doherty (violon, saxo), un ancien des "Sons Of the Desert". Comme Akosh, Philippe Foch (batterie) et Bernard Maladain, résident à Paris. Mais Joe vit à Toulouse et l'Américain Bob Coke (percussions) réside à Redon. Pas facile. Le groupe est pourtant le plus cohérent et sans doute le plus novateur de la scène jazz française. "Les disques ne sont pas là que pour marquer une étape, pour passer à autre chose" sourit Akosh. Pourtant, Polygram vient de sortir simultanément deux excellents albums: le live furieux "Omeko" et un disque studio plus éclectique "Imafa". Auparavant, Akosh avait déjà sorti deux autres albums sur des labels confidentiels. On a mieux compris le sens des paroles de l'homme aux yeux bleu husky vendredi soir au Museum Café. Dans la douce ambiance rougeoyante du lieu, le groupe balance un son plein, à la puissance tellurique irrésistible. Merveilleux souffleur, Akosh passe en une respiration du chuchotement, de la douce plainte d'un mamifère marin, à la stridence la plus déchirée. Un air folklorique hongrois ou irlandais, un raga indien, une phrase mélodique tribale et obsédante peuvent constituer la base d'un morceau mais Akosh plonge violemment ce socle dans le chaos ou le projette avec grâce dans un univers lyrique et aérien. Il y a là une force vitale, une rage contrôlée et un sens très sûr de la progression dramatique qui transcendent les genres. Pas étonnant qu'ils aient séduit le public de Noir Désir; dont ils ont assuré la première partie l'an dernier. A propos de leur musique, Joe parle de "free folk form", d'une musique pleine de racines mais à la liberté totale. La définition est parfaite. Sur le côté de la scène, Jean-Louis Brossard, le patron de l'Ubu est venu accompagné de musiciens anglo-pakistanais qui jouent dans son club un peu plus tard. Ils n'en perdent pas le moindre atome. "Le meilleur concert de jazz que j'aie vu depuis 10 ans" assure Jean-Louis. On partage cet avis. Philippe RICHARD Ouest-France, mardi 24 février 1998 ![]() ![]() Akosh : "A Paris, je ne suis pas enfermé quelque part" Akosh, saxophoniste d'origine hongroise, insuffle un air novateur dans le jazz moderne. Il aime la musique, toutes les musiques.- le folklore de son pays, le free jazz des maîtres américains, le rock. Son champ d'expression, alors illimité, lui donne une liberté qu'il exprime dans une musique à la fois forte, tumultueuse et racée. Midi Libre : Adolescent, qu'est-ce qui vous a poussé dans la voie de jazz ? Akosh : Quand j'étais adolescent, j'écoutais toutes les musiques que je pouvais. Led Zeppelin reste une de mes références les plus importantes, pourtant, ce n'est pas du jazz! Quels sont les jazzmen qui vous ont marqué ? Incontestablement, Albert Ayler... autant que led Zeppelin. De toute façon, dans le domaine musical, ce que l'on fait ne serait rien sans le reste. Il y a aussi eu John Coltrane, les premiers disques d'Archie Sheep. Pourtant la première fois que je les ai écoutés, je n'ai absolument pas pigé. A l'époque à Budapest, j'avais la chance d'avoir un ami qui me prêtait des disques, des cassettes. Cela m'a permis de découvrir beaucoup d'artistes, car c'était assez difficile de trouver des disques, surtout de jazz. Qu'est-ce qui vous a motivé à quitter la Hongrie à l'âge de vingt ans ? Dans mon pays, la différence était mal vue, quel que soit le sujet qui marquait votre différence. Ce n'est pas le fait de jouer du jazz en soit. Et puis, n'importe quel être humain a envie d'évoluer, de parcourir le monde. Dans mon pays, on m'empêchait de faire les choses que je voulais faire, alors j'ai décidé de partir. Ce n'était pas spécialement pour quitter la Hongrie, mais simplemet pour bouger. Pourtant, vous êtes arrivé à Paris en 1986, et n'en avez Plus bougé. A Paris, je ne suis pas enfermé quelque part. et j'ai toujours des choses à faire en France; sinon, je bougerais. En partant de Hongrie, je suis venu à Paris, parce que c'est la ville qui paraissait la plus intéressante pour ce que je voulais faire comme musique. Qu'est-ce qui vous a poussé en particulier vers les Instruments à vent (saxophones, clarinette...) ? Il n'y a pas eu de choix. C'est complètement instinctif. Comme ma musique l'a toujours été et l'est encore. Il y a cette phrase de Bela Hamvas, un auteur Hongrois, qui dit : "La volonté ne s'empare que du choix de l'amour". Elle résumé à elle seule tout ce que j'ai fait dans ma vie, me laisser guider par mon instinct. L'esprit "live" reste très important dans votre musique ? Essentiel. Dans le genre de musique que je pratique, tu ne peux pas faire autrement que ce soit sur disque ou en concert. Vous vous investissez dans la réalisation graphique de vos disques ? Cela m'intéresse énormément : la pochette, les photos, les textes. Cela permet d'aller plus loin, d'exprimer la musique d'une autre manière. Cela peut aider les gens qui sont "sourds", pas parce qu'ils n'entendent pas, mais parce qu'ils n'écoutent pas! Faire une tournée en ouverture de Noir Désir doit être fabuleux ? Fabuleux, et flippant aussi. Quand je les ai vus pour la première fois sur scène, j'ai trouvé une évidence à faire de la musique avec eux. Dans le fond, pas dans la forme. L'énergie, l'intégrité, l'engagement. Recueilli par 0. PERNOT ![]() ![]() ![]() AKOSH S : LE VOLCAN ET LE BOURBIER Mélangeant free-jazz et influences hongroises, le saxophoniste Akosh S, vient de sortir un nouvel album, Lenne, où, transparaît l’engagement qu’il met dans sa musique comme dans la vie. Akosh S ressemble à un volcan. Il émane de lui une puissance minérale, appuyée par un regard gris et un flot de paroles rythmé par les r roulés. Sa musique est un cri, mélange de free jazz et dinfluences hongroises. Mais la classifier na pas de sens : les différents genres sont seulement des outils dont il se sert pour exprimer au plus près ce qui lhabite. La confusion, la colère, mais aussi lénergie, parlent au travers du free jazz. Les influences traditionnelles, les percussions, la voix, traduisent la douleur, lespoir, lintime. Et au-dessus, le sax, comme un hurlement ou un murmure, lâme, lénergie vitale de cette musique, de ce quelle dit, parle un langage que lon ne pensait jusqualors pas connaître et qui, évident, atteint les tripes, sans détour par le cerveau. "Quand on commence à réfléchir sur une musique quon est en train découter, cest quon la tuée", dit Akosh. Akosh S, de son vrai nom Szelevenyi, a vingt ans quand il débarque en France, avec un visa dun mois. Il fuit la Hongrie communiste, où les autorités le persécutent. Il y a appris à partir de six ans la flûte et le basson, puis, à partir de 16 ans, parallèlement à sa découverte du jazz, le saxo. "Evidemment que cest dur de casser sa vie en deux, se souvient-il, en évoquant son arrivée en France, et en même temps, cest magnifique aussi, de pouvoir faire ça. Cest à la fois un arrachement, une cassure, et une libération, une découverte. Cest un acte volontaire et involontaire, qui nest pas loin dêtre en soi quelque chose de philosophique ". A Paris, après quelques temps derrance, il se met rapidement à jouer avec les meilleurs musiciens. Mais ne pouvant accepter lélitisme de la scène jazz traditionnelle, il décide de jouer dans des lieux alternatifs, où il peut rencontrer un public non-initié " lAtmosphère ", bar sur le quai de Valmy, devient son repaire. Peut-être ne faudrait-il entendre Akosh S quen concert. Lors de ceux récemment donnés au Lavoir Moderne Parisien, la salle était sombre, simplement éclairée par quelques bougies placées au milieu des musiciens et Akosh livrait un combat. Akosh S ne joue pas, il nest pas là pour jouer, mais pour donner et prendre. Et cest probablement la mise à nu, lexposition la plus risquée à laquelle on puisse assister. Mais la mise en danger est réciproque : si lon se laisse envahir, mieux, si lon est envahi, on ressort retourné, secoué, enrichi et vidé, durablement. Et lon perçoit alors quAkosh S fait reposer sa vie, ses actes, sa musique sur une morale transversale. Celle-ci implique un engagement dans un combat à mener contre tout ce qui détruit le différent, le pas normé, le fragile, mais aussi une remise en cause incessante de ce que lon fait et de ce au nom de quoi on le fait. Car le but nest pas de sériger en justicier mais dêtre utile sur terre à sa mesure infinitésimale, den être un élément. Il joue pour différentes causes - le Gisti (Groupe dinformation et de soutien des immigrés), le Tibet, les prisons - mais dans la seule mesure où il lui est possible davoir un véritable engagement, où un vrai travail collectif est mis en place. "Il serait presque évident dintervenir dans nimporte quel concert. Ca ne me semble pas très intéressant si mon seul rôle cest débarquer, monter sur scène, jouer et partir, parce que cette absence de qualité de rencontre, de réflexion ensemble, cautionne justement un système qui fait naître le racisme". Mais son engagement réside aussi dans sa manière de faire de la musique. "Moi ça me gave tellement ce coup par coup, bosser tout le temps sur le sensationnel. Cest pas sortir des disques que jaime, cest travailler que jaime !". Après le rachat de sa maison de disques, Barclay, par Vivendi-Universal, il répète avec force quil a avant tout signé avec un homme, Daniel Richard (Directeur dUniversal Jazz). Il cherche, néanmoins, à trouver au sein et malgré Universal, des moyens de faire les choses en accord avec ses valeurs. "On se pose vraiment des questions par rapport à Universal et Jean-Marie Messier. Cest une manière de sopposer à lidée de «uniquement tu peux être victime, uniquement tu subis les conséquences». Desprit, je serai beaucoup plus proche des labels indépendants, mais je suis foncièrement opposé à couper le monde en deux - comme eux le font". Alors il trouve des solutions. Essayer de faire en sorte qu’Universal sorte des créations avec des petits labels, en licence. Sortir un disque live, "Kaloz I", vendu, uniquement en concert, à prix coûtant afin qu’il reste abordable : "Jai simplement essayé de trouver des solutions afin que les choses soient plus fluides que la seule sortie des disques officiels chez Universal : Kaloz ça veut dire «pirate», cest de lauto-piratage total, cest une idée rigolote !". Travailler suivant ses propres méthodes en sortant une trilogie allant au rythme de sa production et de l’abondance de matière dont il dispose : mixer des choses, réfléchir sur des combinaisons et aboutir petit à petit, d’abord à la naissance de Kebelen, puis de Lenne, qui vient de sortir, et d’un troisième, auquel il vient de mettre la touche finale et qui sortira en octobre ou novembre 2002. Et il s’exclame : "Que les choses circulent, que ce ne soit pas : «Je suis gros, je massoie, et je tai tué». Essayer de travailler autrement ! ". Mais sa façon daborder la musique est aussi liée à une réflexion sur lorigine des choses, à une philosophie globale. Et il y a cette énergie de la terre, de la création, et de la rencontre des hommes, qui sous-tend luvre, cette idée de vouloir se rapprocher de la musique "originelle" : "Jessaye, explique-t-il, de retourner à la source des musiques, là où elles naissent. Je parle de musique paysanne. Enfin, cette forme de vie qui est quand même la dernière qui soit encore liée étroitement à la terre sur laquelle nous vivons tous théoriquement. A partir du moment où tu commences à aller vers les origines des choses, après tu vas à lorigine de lorigine de lorigine, et forcément tu te retrouves à un endroit - pas géographique, mais disons, mythologico-historique - qui côtoie, des énergies, on va dire, originelles". Sa vision du monde pourrait être teintée de holisme si elle nétait avant tout secouée et éreintée par le doute : " tan " (peut-être) et " azértis " (quand même), sont les mots qui reviennent sur lensemble de ses disques. On trouve sur la pochette du dernier cette seule phrase Talàn jó mégis az ember : "Cest difficile à traduire parce que lordre des mots est important. Mais les mots qui composent la phrase cest : peut être, quil est bon, quand même, lhomme". Et à propos de la foi, il répond : "On est en train de bousiller des notions, on est en train de bousiller des mots, de ne plus les utiliser....Bien sur que jai la foi, mais cette foi cest quoi ? Cest simplement un amour profond pour ce bourbier monstre !". Marie-Sophie Peyre parue sur www.place-publique.fr ![]() ![]() ![]() ![]() |
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